Les prémices
Dans les années 1920, à la suite des deux dernières guerres qui ont vu l’ennemi arriver presque aux portes de Paris ; l’assiéger même en 1870 ; après avoir vu le peuple de Paris se révolter et faire sécession en 1871, après le regain des tensions qui débutent et qui vont bientôt plonger l’Europe dans une nouvelle guerre, il devient de plus en plus pressant de protéger les réserves d’or de la France, l’un des plus gros stocks d’or du monde à cette période et qui peut attirer les convoitises.
Dans le plus grand secret, une chambre forte faramineuse de près de 11 000 m² est construite à près de 27 mètres sous terre. Encore considérée aujourd’hui comme inviolable, cette structure souterraine est probablement la mieux gardée de Paris aujourd’hui, peut-être plus encore que les postes de commandement souterrains établis sous les différents ministères.
La construction de la Souterraine
Le déclassement des rues Baillif et des Bons enfants par la ville de Paris en 1921 a certes libéré la Banque de France de cette entrave et le Gouverneur Robineau en a profité pour engager la construction de la Souterraine qui est inaugurée en 1927.
Site des archives de la Banque de France
Le projet débute en mai 1924 sous la conduite de l’architecte de la Banque de France (BdF) Alphonse Defrasse. C’est la société Sainrapt & Brice qui est chargé de la maitrise d’œuvre.
Les travaux commencèrent par le forage de 4 puits au 4 coins du carré formant la Souterraine. Les dimensions de ce carré sont de 108×102 mètres et la salle est d’une hauteur de 6m85.
Ces puits sont creusés jusqu’à la côte NGF+10 ; soit à 27 mètres de profondeur par rapport au niveau de la rue Croix des Petits Champs. La structure se trouvait alors entièrement dans la nappe lors de sa construction.
Arrivé à cette profondeur, 4 galeries sont creusées afin de rejoindre les 4 puits entre eux. Puis les ouvriers percent des galeries parallèles tout en construisant des piliers tous les 3,54 m. Lorsqu’une galerie se trouvait achevée, on enlevait le masque calcaire qui la séparait de la précédente et ainsi de suite.
La salle est alors entièrement creusée dans le calcaire grossier, l’épaisseur du calcaire au-dessus de la salle est de 5,15 m et de 3,5 m en dessous de la salle.
Les parois sont constituées d’un premier écran en béton armé d’une épaisseur allant de 15 à 24 cm et ancrées au moyen de saignées pratiquées dans le calcaire (sans prendre les voûtes en compte). Il y a plusieurs écrans « béton, ciment, plâtre et béton armé ».
En tout il y aurait entre 714 et 720 piliers qui soutiennent le ciel de la salle selon les sources. L’une des particularités de ces piliers est qu’ils sont constitués d’un premier bloc cylindrique en béton et d’une chemise en béton armé. L’intervalle entre ces deux éléments permet l’écoulement des eaux de condensation qui se forment dans le faux plafond. Ces eaux sont recueillies dans le caniveau inférieur puis sont rejetées par pompage à l’égout.
Jusqu’à 1200 ouvriers se relaient nuit et jour sur le chantier à partir de 1924 et jusqu’en 1927.
Mais rien n’a changé en surface depuis cette inauguration et il ne reste, en 1935 du quartier en partie démoli, qu’un terrain nu d’une superficie d’un hectare environ d’où seules émergent les cheminées d’aération de la salle forte creusée à plus de 20 mètres sous terre.
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L’accès à la Souterraine
Depuis la surface, l’entrée se trouve aujourd’hui au 20, rue du Colonel Driant. L’accès à la Souterraine se fait en deux phases. Tout d’abord un premier ascenseur nous amène au 4e sous-sol de l’immeuble. Là, derrière une première porte forte de 50 cm d’épaisseur et pesant 7 tonnes se trouve la tourelle (brevet Ansoloni), pièce maitresse de la protection des réserves d’or.
Cette tourelle de béton recouverte d’acier anti-chalumeau fait 2,30 m de diamètre. En tout, elle mesure près de 6 m de hauteur, dont la majeure partie se trouve invisible, enfoncée dans le sol. Dans cette tourelle, un tunnel de 1,10 m de large est ménagé permettant le passage. Ce tunnel est muni de rails au sol et au plafond et permet le passage d’un « bloc obturateur ». Il s’agit d’une sorte de « mur mobile » sur rail qui vient boucher le tunnel de la tourelle avant que celle-ci ne tourne sur elle même.
Lorsque la tourelle est ainsi fermée, on se trouve face à un mur plein de 2,30 m de béton et d’acier qui peut, si le visiteur est autorisé, pivoter sur lui-même avant qu’un chariot ne vienne retirer le bloc obturateur dégageant ainsi le passage. Du point de vue de l’observateur entrant dans la structure, le mur devant lui se mettrait ainsi à tourner avant de se reculer brusquement laissant apparaitre un passage secret précédemment inexistant.
Cet espace s’ouvre sur un deuxième escalier en hélice dont le centre accueille un monte-charge et qui s’enfonce au niveau de la Souterraine. Une deuxième porte forte et tourelle nous attend ici.
Enfin, après avoir passé cette dernière tourelle on trouve encore une double porte forte et des grilles marquant l’entrée de la Souterraine.
Aujourd’hui, pour plus de sécurité, les espaces entre les piliers ont été murés de sorte à ce qu’il ne reste qu’un couloir s’ouvrant sur des portes nécessitant 2 clés : l’une au main d’un contrôleur et l’autre au main d’un du caissier.
La Souterraine de la Banque de France
Lors de la construction de l’ouvrage, la salle forte est divisée en plusieurs parties. La plus importante était nommée « Salle des colonnes ». Il s’agissait de l’endroit où se trouvait stocké l’or de la France. En septembre 1933, le stock atteignait près de 5 000 tonnes d’or, soit 1/4 du stock mondial.
Une deuxième partie appelée « Salle des chambres fortes » était réservée quant à elle à la location de chambres pour des clients qui souhaitaient mettre leurs valeurs à l’abri.
L’accès aux chambres individuelles est protégé par une double porte forte puis par une porte grillagée. Les chambres fortes sont équipées de casiers métalliques pour entreposer les valeurs. Un escabeau est à disposition pour accéder aux casiers les plus élevés. Une table et une chaise permettent aux utilisateurs de travailler.
Site des archives de la Banque de France
Une troisième partie était appelée « Salle des coffres-forts ». Il s’agissait d’un large couloir composés de deux murs de coffres-forts et de bureaux au centre séparés de panneaux permettant aux clients d’examiner en toute discrétion le contenu de leur coffre.
Enfin la Souterraine était aussi un abri de défense passive étanche au gaz et muni de dispositifs de filtrage d’air, cuisines etc. permettant de vivre en autarcie. Grâce au recouvrement dont elle disposait, les architectes qui ont travaillé à son élaboration estimaient qu’elle pouvait résister à des bombes jusqu’à deux tonnes. L’occlusion de toutes les prises d’air une fois l’étanchéité réalisée au niveau des puits permettaient à 3000 personnes de vivre dans de bonnes conditions pendant 7h30 ou à 2000 personnes de vivre pendant 10h. Lors d’une étude à ce sujet, l’ingénieur préconisait d’ailleurs d’équiper les prises d’air d’un système de filtrage et d’un système de renouvellement d’air afin de pouvoir vivre en vase clos. De plus, il prévoyait l’installation de 100 bouteilles d’oxygènes afin que 2000 personnes puissent vivre 10h supplémentaires. En outre il recommandait de créer dans la « galerie de recette » de l’ancien bâtiment un abri contre les gaz nocifs en installant « un filtrage chimique et anti-arsine » et en procédant à des travaux d’étanchéité.
Il est intéressant de noter que pour parer à l’éventualité d’une défaillance sur les tourelles, ce qui empêcherait le passage, Ansaloni a conçu deux sorties secrètes qui ne sont accessible qu’avec l’aide « d’un outillage dont tous les éléments sont réunis et à portée de main dans la salle souterraine ».
Ces sorties sont volontairement cachées. Dans l’épaisseur de la paroi défensive sont disposés des trappons de secours … Ce dispositif est dissimulé, tant à la face interne qu’à la face externe de la paroi par un voile de béton qu’il faut abattre avec les outils dont nous avons parlé plus haut pour mettre à jour l’ensemble du triple trappons, pour libérer ensuite le passage. Ces obstacles franchis, on se trouve désormais dans le même réduit où l’on aurait accédé par la tourelle si elle avait fonctionné. Il est alors possible d’attaquer avec le même outillage le plafond à l’endroit voulu pour faire écouler le sable accumulé au dessus sur une épaisseur d’1,50 à 3 mètres. Lorsque le sable a vidé l’entonnoir qui le contient, des échelons permettent de gagner le talus où on se trouve définitivement à l’air libre. L’humus qui recouvre la surface du terrain ne permet pas de de déceler les emplacements des deux entonnoirs de sable.
Source : Zweig et la Souterraine, ARTELIA, 2016
En surface, une autre Banque
En surface, le terrain vague sous lequel est implanté la Souterraine reste longtemps sans projet, simplement entouré de palissades. Quatre séries de huit cheminées aux quatre coins de la parcelle trahissent l’existence de la Souterraine. Ces cheminées étaient d’ailleurs considérées comme une brèche dans le dispositif de défense établi par la BdF. Non pas car elles étaient visible, mais parce que les prises d’air se trouvaient trop près du sol (seulement 3 m de hauteur). Or, en cas d’attaque chimique, les gaz de combats, plus lourds que l’air, s’amoncellent en nappe au sol et seraient donc aspirés vers l’ouvrage. Il fallait que ces prises d’air soient placées sur les hauteurs d’un bâtiment. Le projet initial sur lequel s’est basé l’architecte de l’abri prévoyait une construction de 35 mètres de haut, au sommet de laquelle devaient aboutir ces prises d’air.
De plus, la pression se fait de plus en plus forte sur la BdF pour que celle-ci agrandisse son siège sur les terrains au dessus de la Souterraine. Des travaux sont ainsi engagés début 1936 mais sont ralentis par différents aléas dont les grandes grèves de la même année.
Dans ce nouveau bâtiment, un sous-sol est tout de même construit pour abriter une autre salle des coffres dont l’architecture la rendait impénétrable par l’extérieur. En effet, elle prend l’apparence d’un cube sur pilotis en béton à l’intérieur d’un autre cube dont les intervalles en dessous (grande salle avec piliers) et sur les côtés (couloirs) permettent de faire des rondes et de vérifier qu’aucun percement n’est réalisé. Cette technique consistant à ménager un « chemin de ronde » autour et sous la salle des coffres sera utilisée dans d’autres succursales.
En 1939, au début de la guerre, le gros œuvre est pratiquement terminé ; cependant le manque de main d’œuvre consécutive à la mobilisation puis l’interdiction de travaux décidée par les Allemands ralentissent énormément le chantier. Il faudra attendre le 6 septembre 1950 pour que ce nouvel immeuble soit finalement inauguré.
L’or de la Banque de France pendant la Seconde Guerre Mondiale
En parallèle de la construction de la Souterraine, déjà conçue comme un véritable bunker inviolable, la BdF organise en plus, dès 1932, un plan pour évacuer l’or de ses différentes succursales en cas de guerre.
Il est décidé de diviser les réserves d’or vers 40 succursales choisies stratégiquement pour leur accès facile à un port.
À partir de 1938, l’administration de la BdF décide de mettre à l’abri à différents endroits les réserves d’or. Jusqu’en 1940, divers navires ont ainsi déplacé jusqu’à 1949 tonnes d’or entre les Etats-Unis, le Canada, la Martinique et le Sénégal.
La BdF étant un établissement privé et indépendant à cette époque-là, son administration refusera de remettre l’or aux Allemands malgré l’insistance du gouvernement de Vichy. Ce n’est qu’en 1946 que tout cet or sera rapatrié en France.
Aujourd’hui, l’or a réintégré la Souterraine à l’exception d’une seule caisse de lingots qui aurait été perdue dans la rade du port de Brest, lors du chargement de l’un des navires qui transportait cette cargaison hautement stratégique.
Sources
https://archives-historiques.banque-france.fr/galerie/galerie/images/24/n:53
https://archives-historiques.banque-france.fr/galerie/galerie/images/30/n:53
P. DIFFRE, Travaux réalisés sous la nappe phréatique à Paris
François Villeroy de Galhau, Arnaud Manas, Stéphan Zweig, Zweig et la Souterraine, ARTELIA, 2016, ISBN:978-2-919096
Les réserves d’or de la France, vues par Stefan Zweig en 1932
Cité de l’Économie et de la Monnaie – La salle souterraine de la Banque de France
Remerciements :
Merci à La Fille pour la relecture et la correction
3 réponses à “La Souterraine de la Banque de France”
Salut
dans la page : https://unterhist.org/unterhist-blog/articles/
Il et ecrit « Le Souterraine » et non « La … »
Articles très intéressants.
Bonne journée
Bonjour, merci de l’information et pour votre avis sur cet article, cela a bien été corrigé. Bonne journée
Bonjour,article passionnant, cette fameuse caisse de lingots soi disant perdue dans le port de brest a ete la cause d’un drame sanglant bien des années plus tard, voir l’affaire troadec qui a défrayé la chronique.