Brève : Une évasion par l’aqueduc d’Arcueil


Une prison révolutionnaire

27 germinal an III de la République, une et indivisible

16 avril 1795

Tandis que nous sommes encore en pleine période révolutionnaire, un certain nombre de lieux confisqués à la noblesse et au clergé sont transformés en prison. C’est le cas de l’abbaye de Port-Royal, renommée pour l’occasion Port-Libre qui devient une maison d’arrêt en 1790. Cet endroit, aussi nommé « Prison de la Bourbe » ou « Prison de suspicion », gardera ce statut jusqu’en 1795 et l’épisode qui est raconté ici n’est peut-être pas étranger à sa fermeture. Aujourd’hui, le couvent de Port-Royal est intégré au sein de l’hôpital Cochin.

Carte du couvent de Port Royal à la Révolution - Le lieu de l'évasion par l'aqueduc d'Arcueil
Couvent de Port-Royal à la Révolution – plan de Verniquet

Le 16 avril 1795 donc, à 7h du matin, le citoyen-commissaire Spÿcket de la division de l’Observatoire doit se rendre en cette prison. En effet le concierge du lieu, Citoyen de la Vacquerie vient signifier l’évasion de huit détenus d’une manière peu orthodoxe. Ci-dessous, le procès verbal dressé par Spÿcket à cette occasion :

N°264

Cejourd’hui vingt sept germinal an 3me de la République une et indivisible. Sept heure du matin. 

Nous Nicolas Jacques Spÿchet, Comre de police de la section de l’observatoire, sur l’avis à nous donné par le Cit. De la Vacquerie, concierge de la maison d’arrêt de Port Libre, qu’à la suite de plusieurs fractions dont il venait de s’apercevoir, plusieurs des détenus de cette maisons seraient évadés. 

Sur le champ nous sommes transportés en ycelle maison d’arrêt, ou étant, premièrement le citoyen de la Vacquerie nous a conduit dans le cloitre des Déchaussée et nous a introduit dans un bout de gallerie conduisant aux robinet de fontaine provenant de l’aqueduc d’Arcueil et nous a requis de constater la situation du lieu. Après être descendu quelques marches qui aboutissent audit robinet, et examen fait de la grille servant à fermer le passage de la gallerie de l’aqueduc avons reconnu et vu que les deux cadenas qui fermaient la porte de la ditte grille étaient ôtés, et ouverture faite de la ditte grille, avons trouvé les deux cadenas brisés et fracturés au pied de la ditte grille dans l’intérieur de l’aqueduc, quoi que nous eussions trouvés les moraillons desdits cadenas posés à leur place ordinaire dans leurs pitons.

Un escalier d'accès à un aqueduc souterrain

Et de suite, le citoyen de la Vacquerie nous a déclaré que le jardinier de la ditte maison lui avait le matin dit qu’il ÿ avait un trou pratiqué dans un des quarrés dudit jardin et que probablement c’était par le trou donnant dans laqueduc que lesdits détenus s’étaient évadés.

Pourquoi, après avoir fait fermer la porte qui conduit à la ditte fontaine et avoir fait poster un gardien a l’effet que personne nÿ entrât, nous nous sommes transportés dans le jardin de ladte maison d’arrêt, et dans le quarré indiqué par le jardinier nous avons trouvé un trou d’environ dix-huit pouces de diamètre pratiqué dans les terres et donnant dans l’aqueduc. Qu’examen fait dudit trou ainsi que de la profondeur jusqu’au sol de l’aqueduc avons vu et reconnu que les moyens d’évasion étaient d’une extrême facilité, parce que du sol de l’aqueduc jusqu’à la surface de la terre, il n’ÿ a qu’environ huit pieds [de la nation], ce qui joint aux pierres dégradées de la voute de l’aqueduc et aux terres provenant dudit trou ne fait qu’environ cinq pieds [de la nation]

Coupe de l'aqueduc d'Arcueil / de Marie de Médicis

De suite après avoir laissé à la garde dudit trou des citoyens gendarmes qui nous accompagnent, avons suivi la trace des pas fraichement imprimés dans la terre labourée, ce qui nous a conduit jusqu’à l’angle du mur qui fait le tour des rues Denfer et Maillet et la avons reconnu par les traces nouvellement imprimés sur le mur qu’à l’aide d’un arbre on avait gagné jusqu’au chaperon du mur de clôture parce que ledit arbre ne présente dans sa plus grande largeur qu’environ dix huit à vingt pouces de distance. Et à l’aide d’une échelle qui nous a été à l’instant procurée par le jardinier, sommes montés sur ledit mur à l’angle desdittes deux rues contre le poteau du Réverbère, et là, avons et reconnus que la potence en fer soutenant la partie de descente dudit réverbère était cassée et qu’à l’aide de la corde dudit réverbère, on pouvait être descendu jusque dans la rue.

Avons de plus reconnu qu’un bout de cordage était encore attaché à une des branches de l’arbre mentionné cÿ dessus, que ledit cordage avait été jetté en dehors dans la rue Maillet ce qui paraissait encore avoir facilité l’évasion. En outre, avons encore trouvé au pied dudit arbre un bout de corde de puit d’environ sept à huit pieds de longueur.

Et de suite avons fait visitte et perquisition dans ledit jardin a l’effet de constater s’il n’existait aucun endroit qui eut facilité l’évasion desdits détenus et nous n’avons rien trouvé.

Et de suite, rentrés dans l’intérieur de la maison, nous nous sommes rendu dans l’aqueduc et de la jusqu’au trou pratiqué dans le jardin ou arrivés, avons trouvé trois morceaux de fer en barre d’environ dix lignes quarré, une bouteille cassée formant vase et contenant de l’huile et mèche à bruler soutenue par des morceaux de liège et un jeu de carte.

Examen fait du trou, avons constaté qu’il est pratiqué sur le flanc droit de la voute de l’aqueduc, que les pierres et les terres éboulées du trou pratiqué dans ladte voute et dans les terres à aisément facilité l’évasion par le peu d’effort qu’il ÿ avait de faire pour monter à la hauteur dudit trou.

De suite nous avons examiné qu’à côté dudit trou, il existait une cheminée de regard couverte d’une forte dalle de pierre, qu’à cette dalle on a fait de vains efforts pour la soulever ce qui est notoire par des empreintes qui y sont faites et en outre par les lézardes faites à la superficie du jardin provenant de l’ébranlement de laditte pierre.

Observant qu’a côté de laditte cheminée de regard se trouve un mur de clôture dudit aqueduc, qu’il ne nous a pas paru qu’on ait tenté a percée.

Et de suite, en nous retirant et sortant dudit aqueduc, dans l’angle du vestibule quÿ conduit, avons trouvé une quatrième barre de fer de même grosseur qui nous a paru provenir d’une potence et dont le support était nouvellement cassé. Laditte barre ainsi que les trois autres aÿant environ 35 à 30 pouces de longueur.

À côté de laditte barre de fer avons trouvé un cadenas brisé et fracturé, lequel a été reconnu pour être celui qui fermait un des vantaux de la porte du petit corridor du premier étage vis-à-vis l’horloge ou nous étant à l’instant transporté et avons constaté l’évidence.

Et de suite à l’effet de constater si effectivement il manquait quelques détenus avons procédés à l’appel général […] et d’après ledit appel et visite dans toute laditte maison, avons reconnu que les nommés 

  1. Jean Genois
  2. Joseph Beuvelot
  3. Pierre François Blondin
  4. François Gingre
  5. Jean Baptiste Pitard
  6. Joseph Michel Larrÿne
  7. Denis Laquemant
  8. Jean François Landiot

Étaient absent et probablement évadés par l’aqueduc ainsi que l’indique le présent procès-verbal. Quant aux motifs d’arrestation âge et signalement des huit particuliers cÿ dessus désignés, le citoyen de la Vacquerie s’est à l’instant chargé de faire relever le registre des Écrou a fin de joindre ledit relevé au présent. Nous observons ledit citoyen de la Vacquerie que tous les prisonniers évadés lui sont venu par transferrement de Bicêtre conformément aux ordres de la commission des administrations civiles, polices et tribunaux.

Après avoir constaté l’évasion desdits huit particuliers, ainsi que l’endroit qui nous a paru être celui qui a facilité leur évasion, avons fait dans laditte maison une recherche nouvelle a l’effet de constater d’où et comment lesdits huit particuliers évadés s’étaient procuré des barres de fer, mais notre recherche fut pour le moment infructueuse, pourquoi avons invité ledit De La Vacquerie de prendre à ce sujet touts les renseignements possibles afin que nous puissions en constater le résultat.

Et du tout avons fait et rédigé le présent procès-verbal pour constater premièrement que c’est par force majeure et imprévue, et à la suite de plusieurs effractions intérieures et extérieures que les huit détenus cÿ dessus désignés sont évadés. Que secondement, les précautions prises par ledit Cit. De La Vacquerie , concierge de laditte maison d’arrêt devenaient infructueuses parce qu’il ne pouvait prévoir que l’aqueduc fermé par une forte grille avec deux cadenas pourrait être aussi facilement fracturé, que finalement, la surveillance intérieure et extérieure de la maison, tant de la part dudit citoyen de la Vacquerie que des gendarmes devenu inutile contre une évasion combinée avec autant de force que d’adresse. Surtout lorsque le trou pratiqué dans ledit jardin se trouve à une distance de 25 à 30 toises du chemin de ronde extérieure, où les gendarmes sont en faction et que d’ailleurs il est probable et presque impossible que la ditte évasion se soit faite autrement que de nuit.

Une galerie de l'aqueduc d'Arcueil / de Médicis aujourd'hui

Fait et clos le présent ledit jour et an que dessus que ledit citoyen de la Vacquerie a signé avec nous

[signature DeLaVacquerie] [signature Spÿchet]

Sources :

Archives de la préfecture de Police – côte AA 198 – Procès verbaux des commissaires de Police – Section de l’Observatoire – f°264

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