La tragique histoire de Marguerite Couchat


Déterrage d’un fait divers

Il n’est pas rare en parcourant la presse parisienne de ces trois derniers siècles de tomber sur des faits divers relatant des accidents liés à la présence des anciennes carrières situées sous Paris et sa banlieue : effondrement de maison, chaussée qui s’écroule, accident d’ouvriers ou de civils tombant dans des puits, ou encore tout simplement perdus, etc.
Parmi toutes ces mésaventures il y a l’histoire de Marguerite Couchat, survenue en 1837 rue Duguay-Trouin. Elle n’est pas vraiment sensationnelle, mais suffisamment bouleversante, et inquiétante, pour que la plupart des journaux de l’époque en informent leurs lecteurs.
Mais comme pour tout fait divers, sans cesse remplacé par d’autres, cette femme et sa mort dramatique tomberont dans l’oubli pour toujours.
Pourquoi ne pas déterrer cette anecdote tragique 200 ans après pour évoquer le vieux Paris et son peuple.

La rue Duguay-Trouin

La rue Duguay-Trouin fut ouverte à la toute fin du 18ème siècle, sur une partie retranchée du terrain du Luxembourg qui à l’époque s’étendait en forme de pointe dans sa partie occidentale, dans l’alignement de celle de l’enclos des Chartreux. Selon plusieurs sources 1 elle aurait d’abord porté le nom de « rue Thimeray » avant qu’on lui donne son nom définitif en 1807. En forme d’équerre, elle part de la rue d’Assas (anciennement rue de l’Ouest), forme un angle droit et finit rue de Fleurus.

Plan de la division de l’Observatoire à la fin du 18ème siècle. En rouge, l’ancienne partie du Luxembourg retranchée, dans l’alignement de l’ancien enclos des Chartreux jusqu’à la rue de Vaugirard. Plan cadastral, Ville de Paris, Division de l’Observatoire, Douzième Arrond. municipal, Archives Nationales.

En 1845, dans sa nouvelle Une rue de Paris et son habitant, Honoré de Balzac en fait la description suivante  :

Si Balzac évoque le sujet de la dangerosité du terrain due à la présence des « Catacombes », c’est parce qu’en effet ce secteur du faubourg Saint-Germain, rue d’Assas, de Vaugirard, le Luxembourg, jusqu’à la rue du Cherche-Midi, est sous-miné par les anciennes carrières. Représentant donc des risques d’effondrement (fontis), des consolidations y furent entreprises dès le début du 19ème siècle, et la rue Duguay-Trouin se retrouva tout bonnement fermée des deux côtés par des portes en bois, pour le service des carrières.

Les travaux de consolidation sous et hors Paris, depuis la création de l’Inspection des Carrières en 1777, sont organisés en différents ateliers, selon les zones où ils s’effectuent. Ceux-ci évoluent en taille et en nombre selon l’avancement des travaux de recherches d’anciens vides.
En 1812 la rue Duguay-Trouin se trouve dans l’arrondissement du faubourg Saint-Germain, dans l’atelier comprenant « les rues de Vaugirard, de l’Odéon, de Tournon, de Condé, du Pot-de-Fer etc, confié au Sr Jubin qui a sous lui un piqueur et trente ouvriers » 2.
Héricart de Thury, Inspecteur général des Carrières à cette période, écrit cette année là en 1812 dans une lettre destinée au directeur général des Mines :

Zone à risques, les travaux entrepris dans cet atelier ne seront manifestement pas suffisants puisque 25 ans plus tard, en 1837, c’est justement à cet endroit, toujours chez M. Perchin, que survint un incident grave causant la mort de la pauvre Marguerite Couchat.

Galerie de consolidation sous la rue Duguay-Trouin.

Galerie consolidée sous la rue Duguay-Trouin.

Les domestiques à Paris au 19ème siècle

Sous l’ancien régime, les domestiques sont majoritairement au service des nobles, qui en ont d’ailleurs plusieurs (valets, cochers, femmes de chambre, cuisinières, etc…) . Après la Révolution de 1789, ces principaux employeurs ayant perdu leurs têtes, on aurait pu espérer que la domesticité disparaîtrait avec. Il en fut tout autrement. Cette révolution, souvent décrite comme bourgeoise, vit cette classe sociale, une fois les manettes du pouvoir économique et politique entre les mains, reprendre sans complexe certains us et coutumes de ceux qu’elle avait renversés.

Installée en ville, dans un essor continu, la bourgeoisie emploie quasi systématiquement des gens de maison afin d’afficher son statut mais également, dans une certaine démarche dialectique, de s’en différencier : il s’agissait ici de se laisser du temps pour travailler et entreprendre et non pour le loisir.
Autre changement dans ce nouveau contexte, ils sont plus nombreux en terme d’employeurs mais ils en embauchent bien moins par foyer, ce n’est plus par dizaines mais plutôt à l’unité, selon leurs revenus.
Il n’est pas rare, même, d’avoir un.e seul.e domestique, c’est le cas de la petite bourgeoisie, tel un commerçant, un banquier, un artisan, un petit propriétaire… Et dans ces cas, c’est le plus souvent une femme. Le profil typique de ces femmes : venant de province, débarquées à Paris pour trouver un emploi, arrivent jeunes, restent célibataires, survivent à la misère via la sécurité du logis et la subsistance fournies par leurs maîtres.

C’est dans cette ambiance qu’on peut imaginer la vie de Marguerite Couchat en 1837. Originaire de l’Yonne 3, 53 ans, jamais mariée, dévouée domestique de M. Edme François Perchin, petit propriétaire et jardinier/herboriste au 4 rue Duguay-Trouin dans l’ancien 11ème arrondissement de Paris (actuel 6ème).

Une domestique parisienne dans les années 1840.
Une vieille domestique, Henry Bonaventure, © Musée Carnavalet.

Le fontis du 4 janvier 1837

C’est début janvier 1837 que les Parisiens découvrent avec consternation que, une fois de plus, le sol de leur ville s’est effondré, emportant avec lui une malheureuse domestique. Les journaux comme Le Monde, le Moniteur Parisien, le Journal de Paris, la France, le Journal des Débats, etc, mais aussi en province la gazette de Metz ou encore le journal Galignani’s Messenger destiné à l’international, en informent leurs lecteurs, relatant les faits suivants :
Un fontis s’est manifesté au 4 rue Duguay-Trouin, dans le jardin de M. Perchin. Sa domestique a été engloutie dans cet éboulement et immédiatement recouverte de 15 à 20 pieds de terre (5 à 6m). Les ouvriers employés des carrières ont aussitôt été appelés sur les lieux pour s’occuper sans relâche du déblai des terres dans l’espoir de la retrouver.

Le Monde, 6 janvier 1837.

Mais dès le lendemain, la nouvelle se répand que leurs recherches aboutirent, néanmoins tristement : au bout de quelques heures, c’est le cadavre de la pauvre femme qui fut découvert. Son corps inerte fut donc transporté sur 500m de galeries souterraines afin d’accéder à la sortie la plus proche, en remontant sous la rue de l’Ouest (Assas), tournant à droite sous la rue de Vaugirard, puis à gauche sous celle du Pot-de-Fer (Bonaparte) pour accéder à l’escalier de sortie. En plus de la compassion éprouvée, surgit une inquiétude des habitants des quartiers sous-minés.

La Gazette de France, 8 janvier 1837.

Plan des vides de carrières et des galeries en 1859. En rouge, le trajet effectué pour remonter à la surface le cadavre encore chaud de Marguerite Couchat.

Ce fontis est indiqué sur l’Atlas souterrain de la ville de Paris de De Fourcy, paru en 1859, indiqué sur le plan au niveau du jardin du n°4 de la rue, « Fontis venu à jour 4 janvier 1837 ». Le cadastre de cette parcelle n’ayant pas été modifié entre 1837 et la parution de l’atlas, il est facile de se rendre compte de la configuration du lieu.

Extrait de l’Atlas Souterrain de la Ville de Paris, 1859.
Cadastre de Paris, 1810-1836, Archives de Paris.
Superposition.

Comme souvent pour les articles de presse, certains éléments diffèrent. On lira qu’elle fut retrouvée soit dans la soirée, soit le lendemain. La date ou l’adresse non plus ne sont pas identiques selon les éditions. Quelques-uns rapporteront plus de détails, comme le Journal des Débats du 7 janvier, qui informe que « M. le procureur du Roi s’est aussitôt rendu sur les lieux avec le commissaire du quartier du Luxembourg pour constater ce cruel événement ».

En effet, l’heure est grave. Il va être nécessaire de constater les circonstances du drame, afin de déterminer si il y a une responsabilité, des négligences. Dans la mire de ces interrogations : l’Inspection Générale des Carrières, censée assurer la sécurité du sol de Paris, devant assumer face à la crainte des habitants engendrée par cet accident.

C’est donc dans les archives 4 que les faits sont rapportés avec davantage de précisions, puisque l’Ingénieur en chef des Mines – Inspecteur général des Carrières de l’époque, M. Tremery, va devoir donner des explications à ses supérieurs et rendre des comptes. Il écrit donc dès le 8 janvier 1837 une lettre à M. Legrand, conseiller d’État, Directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines, dans laquelle il décrit avec détails l’épisode en question.

Il reçoit une réponse quelques jours après, concise, l’invitant à redoubler d’efforts sur les travaux de recherche et de consolidation, et le questionnant, avec un léger coup de pression, sur la tenue des plans à jour :

Tremery prend cette fois un peu plus de temps pour lui répondre. Il lui envoie un courrier le 17 février, justifiant le travail effectué rigoureusement par le service des carrières, et dans lequel il n’oublie pas d’évoquer la constante problématique des budgets alloués à leur administration.

Le ton obséquieux de l’inspecteur Tremery pourrait donner une image d’employé modèle mais il est à noter, pour information, qu’il sera condamné, ainsi que l’ingénieur Poirier St Brice, quelques années plus tard pour des scandaleuses malversations dans son travail au sein de l’Inspection des Carrières 5.

La cartographie à l’IGC

La problématique de la cartographie évoquée dans ces échanges était un sujet récurrent à cette époque. Il fallut plusieurs années de relevés et de récolements pour qu’enfin puisse être créé l’Atlas Souterrain de la ville de Paris susmentionné, dont les premières feuilles furent publiées en 1855 pour l’Exposition Universelle à Paris.
Cet Atlas sera remanié à la fin du 19ème siècle pour devenir l’Atlas des Carrières Souterraines de Paris. Les feuilles composant cet atlas seront révisées et rééditées avec le temps, suivant les évolutions des infrastructures souterraines inhérentes à celles de la surface. Certaines informations subiront donc des modifications au fur et à mesure des éditions, ou même parfois disparaîtront, comme on peut le constater ici pour ce fontis qui n’est plus mentionné dès 1953.

Extrait de la feuille 227, 1898 : Le fontis est indiqué par « F 1837 », qui selon la légende indique « fontis venu à jour en 1837 ».

Extrait de la feuille 227, 1953 : le plan a été modifié, les piliers de masse (en jaune) sont différemment définis et un nouveau fontis – mais non venu à jour – apparaît sur la zone indiqué par un « f » minuscule.

Extrait de la feuille 25-47, 1986 : idem.

Marguerite et ses restes

Quant à Marguerite Couchat, au final oubliée dans ces méandres administratifs, même après son décès n’en avait pas fini avec les « catacombes ».
En effet, elle fut enterrée deux jours plus tard, le 6 janvier, au cimetière Montparnasse en fosse commune.

Registre journalier d’inhumation du cimetière Montparnasse, Archives de Paris. Le 6 janvier 1837 Marguerite Couchat est déjà la 83ème personne de l’année à être inhumée dans ce cimetière.

Ce cimetière fut aménagé lui aussi sur une zone d’anciennes carrières. Depuis son ouverture en 1824, il subit plusieurs modifications de ses espaces, et avec le temps, les ossements issus de fosses communes remplissant ses ossuaires ou charniers furent quasi intégralement translatés 6 dans ses « catacombes » situées juste en dessous, via des puits spécialement percés à cet effet au sein du cimetière, afin de combler des anciennes galeries 7.
Comme si les entrailles de Paris avaient décidé que ce corps lui appartenait, décédée dans les carrières, ses restes retourneront finalement dans les carrières.
Ils composent, avec les dizaines de milliers d’autres restes humains appartenant aux plus basses classes sociales du peuple de la rive gauche de Paris du 19ème siècle, étalés et mélangés mais bien toujours entre eux, ces vastes dépôts d’ossements de plusieurs centaines de mètres cubes, remplissant les galeries comme à l’infini, des sous-sols du cimetière Montparnasse.

Dépôt d’ossements sous le cimetière Montparnasse. © Titouan Gelez

Sources :

  1. Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris ↩︎
  2. Archives Nationales, travaux publics, F/14/8218 ↩︎
  3. Née le 12 septembre 1783 à Sacy, d’un père vigneron, parrain laboureur. Archives départementales de l’Yonne. ↩︎
  4. Archives Nationales, travaux publics F/14/8219 ↩︎
  5. Recueil des arrêts du Conseil, ou ordonnances royales, 7 décembre 1843. ↩︎
  6. Les ossements issus des charniers du cimetière Montparnasse furent « vidés » dans son sous-sol durant 50 ans, sauf une quantité de plusieurs mètres cubes qui fut translatée en juillet 1879 au cimetière d’Ivry. Archives de Paris 1326W 20 ↩︎
  7. Archives de l’Inspection Générale des Carrières. ↩︎

Remerciements : Floxx, Slip, Yersi


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