Lorsqu’on regarde aujourd’hui la feuille n°26-46 de l’Atlas des carrières souterraines, qui est la plus proche du lycée Louis-le-Grand, aucune exploitation souterraine ne semble visible. Pourtant, à la lecture de certaines archives de l’Inspection générale des carrières (I.G.C.), un doute subsiste. En effet, à la fin du XVIIIe siècle, plusieurs incidents ont été rapportés qui ont fait craindre à l’administration qu’il pouvait exister quelques souterrains inconnus. L’I.G.C. en était même suffisamment convaincue pour faire apparaitre une carrière souterraine à cet endroit sur l’Atlas administratif de la ville de Paris édité par Nicolas Maire de 1820. Cependant, le manque de finances à cette période, le grand nombre de fouilles inconnues découvertes partout dans Paris et les accidents plus urgents ont fait tomber ces quelques indices dans l’oubli jusqu’à aujourd’hui. Il convient alors de se replonger dans les archives et de voir pourquoi il existe peut-être des carrières inconnues de l’I.G.C. sous les alentours du lycée Louis-le-Grand.
Géographie et histoire du site
Le site où est implanté le Lycée Louis-le-Grand a subi des périodes d’urbanisation diverses. La proximité avec le Cardo Maximus (rue Saint-Jacques), l’une des principales voies romaines desservant Lutèce, a été le premier moteur d’une urbanisation gallo-romaine. Celle-ci est notamment attestée par des fouilles ayant eu lieu sous la surveillance de Théodore Vacquer en 18891 qui ont mis en évidence divers murs d’habitation alignés avec le Cardo dans l’enceinte du lycée.
C’est aussi une période prospère pour les potiers gallo-romains qui tiraient de l’argile par des puits pouvant atteindre une grande profondeur. Ces puits, comme celui découvert sous le collège Sainte-Barbe en 1882, desservaient des galeries depuis lesquelles les potiers exploitaient l’argile nécessaire à leur commerce. À noter par ailleurs que la fouille de ce puits sous le collège Sainte-Barbe permit la découverte d’une de ces galeries qui a pu être datée par des monnaies de la période Trajan – Claude – Antonin2. Pour terminer, on peut noter la présence au sud du Panthéon de divers puits et galeries filiformes qu’Émile Gérards, dans son ouvrage, interprète comme des galeries de potiers. Ces galeries ont été recoupées plus tard par la carrière médiévale des Génovéfains dont l’ordre monastique était basé à l’emplacement du Lycée Henri IV et de la montagne Sainte-Geneviève3. Le tout est encore visible sur la feuille n°27-47 de l’Atlas des carrières souterraines.
La fin de la période antique semble être marquée par un recul de l’urbanisation qui se replie autour de l’île de la Cité avant que celle-ci ne reprenne son essor autour du XIe et du XIIe siècle. Ainsi, il convient de garder à l’esprit pour la suite de notre étude que ce secteur a été criblé de caves médiévales, parfois sur plusieurs étages. Par exemple, en 1882, lors de la reconstruction d’une partie du collège Sainte-Barbe qui se situe à proximité du lieu qui nous intéresse, jusqu’à trois niveaux de caves médiévales ont été observées par Eugène Toulouze, ainsi même que des fours à plâtre et à chaux précisant une activité de carrières à proximité. Certains fours en brique ont été découvert « au dessous des trois étages de caves voûtées du Moyen-Âge » ! Il est donc tout à fait possible que les incidents que nous allons décrire dans la suite de cette brève aient pu être en lien avec des subduction oubliées en profondeur sous le lycée Louis-le-Grand.
Vers le XVIe siècle, le site du lycée devient pour la première fois un lieu d’enseignement dirigé par les jésuites, il s’agit du collège de Clermont dont le nom et l’usage se perpétuera jusqu’en 1682, où, en plein apogée, Louis XIV le baptisera Collegium Ludovici Magni5. Enfin, c’est aux alentours de la période révolutionnaire que des effondrements se produisent faisant craindre à l’administration que le collège ait été bâti sur d’anciennes fouilles de carrières inconnues et qui seraient, de facto, antérieure à 1563, année de fondation du collège de Clermont.
Une excavation inconnue ?
En avril 1795, Bralle, qui est alors Inspecteur général des carrières, prévient la commission des Travaux Publics d’un effondrement venant de se produire rue Saint-Jacques, à l’aplomb des murs du ci-devant collège Louis le Grand vis-à-vis la rue des Poirées. Cet enfoncement se trouve au dessous d’une conduite de l’aqueduc de Marie de Médicis qui alimente en eau le bâtiment. Il est probable que de l’eau provenant de cette conduite, en s’écoulant dans les terres aient fini soit par tasser des remblais soit par lessiver ceux-ci en les faisant s’écouler dans un vide inconnu. C’est vers cette dernière hypothèse que penche alors Bralle au vu de la forme de l’enfoncement6 :
Il est difficile de déterminer si cet enfoncement est une suite simple de la perte d’eau qui existait sur ladite conduite ou si c’est un effet combiné de cette fuite d’eau et du mauvais état des ciels de carrières étant au dessous. Ce dernier effet est cependant d’autant plus présumable que ce fontis s’est fait perpendiculairement ce qui indique un vide en dessous capable de recevoir les terres éboulées; mais on n’a point de connaissance positive des carrières qui peuvent exister en cet endroit, on sait seulement qu’il y en a sous le collège d’Harcourt, rue de la Harpe.
Extrait de la lettre de Bralle à la Commission des travaux publics datée du 6 Floréal An 3 (25 avril 1795) – Archives Nationales / Cote F-13-741
Il convient de noter qu’à cette époque, l’IGC semblait connaître d’autres carrières sous le collège d’Harcourt, actuel lycée Saint-Louis. Carrières aussi notifiées sur l’Atlas de Maire et qui nécessitent de plus amples recherches.
À la suite de ce premier rapport écrit par Bralle, la Commission des Travaux Publics l’autorise à pousser les recherches à l’aide des puits à eau existants dans le lycée. Cependant, ces premières investigations ont été ralenti par la transformation du collège en maison d’arrêt révolutionnaire. Nous ne savons pas en l’état si les puits à eau ont pu être explorés comme le préconisait Bralle. 7, 8.
Après ce premier épisode, un nouvel effondrement a lieu en 1798. Cette fois-ci, le lycée, qui est renommé « collège Égalité », est victime d’un effondrement dans l’une de ses cours. Guillaumot, redevenu à cette période Inspecteur Général des Carrières s’étant rendu sur place, il indique dans une lettre du 26 juillet qu’il n’existe pour lui « aucun doute sur l’existence d’un ancien vide de carrière »9. Il demande alors au Ministère de l’Intérieur dont dépend le lycée des fonds afin d’effectuer les réparations et recherches adéquates. Il semble qu’un puits ait été foncé dans la cour dite « des Boucheries » et que des recherches ont mené à la découverte, à près de 14m de profondeur, « d’une construction de 4 caveaux voûtés séparés par un corridor » 10. Il est difficile de dire si ces caves étaient liées à une carrière souterraine ou à autre chose. Suite à cette découverte, Guillaumot semble penser qu’il s’agit alors plus d’un réseau de caves oublié. Quoi qu’il en soit, la profondeur de ces souterrains laisse perplexe. Précisions ici que le terme « caveau » n’avait à cette époque pas la connotation uniquement funéraire qu’elle a aujourd’hui. Ce terme était synonyme de cave.
Un troisième effondrement a lieu en décembre 1799. À cette période, c’est un nouvel affaissement de 3m de profondeur qui se produit dans la « cour du bâtiment neuf ». Le lycée, à cette époque, est renommé « Prytanée Français » est toujours alimenté en eau par les conduites de l’Aqueduc de Médicis et c’est encore sous l’une de ces conduites de plomb que l’incident s’est produit. De nouveau Guillaumot demande des fonds au ministère de l’intérieur afin de procéder à des réparations et à des fouilles dans l’idée de vérifier définitivement si le bâtiment est construit sur d’anciennes carrières souterraines. Un atelier « Prytanée Français » est aussi cité indiquant que les sommes cumulées des consolidations du lycée et du muséum réalisées à la même époque s’élèvent à 55 000 francs11.
Enfin, en mai 1801, un dernier mouvement de terrain est constaté dans les caves du bâtiment où logent les professeurs. Ce sont les administrateurs du Prytanée Français qui sonnent cette fois l’alarme en prévenant que des fondations se sont affaissées là où, en 1785, le premier incident s’était produit. Ce mouvement de terrain a contraint les administrateurs à faire étayer en urgence les caves dont les massifs de consolidation avaient été solidement réalisés 15 ans plus tôt. Un rapport présenté ensuite au ministre de l’Intérieur indique alors que le Citoyen Guillaumot accompagné d’un architecte mandaté par le conseil des bâtiments civils arrivent aux conclusions qu’il doit bien y avoir d’anciennes fouilles de carrière à cet endroit. On apprend à cette occasion que la galerie de recherche de la rue Saint-Jacques devait être poursuivie jusqu’au lycée Louis-le-Grand mais qu’elle était encore à plus de 300 m du lieu de l’accident. En attendant d’amener la galerie jusqu’à ce point, Guillaumot et le conseil des bâtiments civils préconisaient l’ouverture d’un puits de service à l’angle de la cour du bâtiment des professeurs et évaluent alors la dépense à 2000 francs12. Cette ouverture avait même été validée par le Ministre de l’Intérieur13.
Il faut noter une dernière chose sur cet effondrement. On l’a vu, initialement, il a eu lieu rue Saint-Jacques devant les murs du Lycée. Si le tassement des terres n’est probablement pas responsable de mouvements aussi conséquents sur plusieurs années, il semble qu’on peut tout autant écarter l’idée d’une cave oubliée. En effet, les caves, même datant du Moyen-Âge, se situent sous les habitations. Lorsque la rue est élargie, elles peuvent se retrouver sous la chaussée mais concernant la rue Saint-Jacques, celle-ci reste relativement étroite et son ancienneté (Cardo Maximus) rend très peu probable qu’un bâtiment ait pu mordre sur son tracé à quelque époque que ce soit. Il faudrait alors que la potentielle cave incriminée se trouve juste à l’aplomb des murs du bâtiment et que la malchance ait entrainé les terres du côté de la rue Saint-Jacques, on peut cependant présumer qu’il s’agisse bien d’une carrière inconnue.
Nous ne savons malheureusement pas si la dernière préconisation de Guillaumot a été suivi d’effets car nous arrivons au bout du corpus d’archive relatif au lycée Louis le Grand. La galerie de la rue Saint-Jacques n’ayant jamais été portée jusque là, il est probable que le coût ait été considéré comme trop important et que d’autres urgences aient conduit l’administration à oublier les soupçons de vides de carrière à cet endroit. Ou bien un atelier de consolidation a peut-être existé par le biais du puits de service prévu mais aucun recollement n’a jamais été réalisé. Peut-être existe t’il au coin de l’une des cours du lycée un puits de service oublié. Peut-être une galerie de recherche a t’elle été creusée depuis un ancien puits à eau dans l’enceinte des bâtiments.
Petit espoir, nous pouvons apercevoir sur l’Atlas de Vasserot, levé entre 1810 et 1836, un puits dans le coin de l’une des cours du Lycée 14. Cette cour est bien celle des professeurs et ce puits pourrait correspondre à l’emplacement du puits à creuser. Dans l’ouvrage de G. EDMOND cité plus tôt, l’auteur indique la présence d’une fontaine à proximité 15. On peut cependant se demander pourquoi Guillaumot aurait préconisé l’ouverture d’un puits de service si un précédent puits existait déjà. Il est donc possible que, s’il s’agit du puits creusé pour rechercher une éventuelle carrière, qu’il ait par la suite été équipé d’une pompe pour le service du Lycée, mais cela n’est qu’une hypothèse. Il n’est pas possible en l’état de vérifier si ce puits à eau est celui prévu par Guillaumot mais sa disposition rend la chose probable. Reste à voir s’il en reste aujourd’hui quelque chose…
Remerciements
- Merci à Jean Laurent pour son travail de recherche en archive à la base de ce billet
- Merci à Pinson pour une première relecture orthographique
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Sources
- Fond Théodore Vacquer – Bibliothèque Historique de la Ville de Paris – 1889 ↩︎
- Toulouze E., « Une fouille rue Valette », La ville de Paris, 21 janvier 1882, pp. 481-482 ↩︎
- Emile Gerards, Paris Souterrains, Edition Garnier Frères, Paris, 1908, Chapitre VIII, pages 357-358 ↩︎
- Atlas des carrières souterraines de la Ville de Paris ↩︎
- Histoire du Lycée Louis le Grand ↩︎
- Archives Nationales, Cote F/13/741 – Rapport de Bralle à la Commission du 25 avril 1795 ↩︎
- Archives Nationales, Cotes F/13/741 – Autorisation de la Commission pour la poursuite des investigations – 14 mai 1795 ↩︎
- Archives Nationales, Cote F/13/741 – Demande de permission d’accès à la Maison d’arrêt – 12 juillet 1795 ↩︎
- Archives Nationales, Cote F/13/742 – Lettre de Guillaumot au Ministre de l’Intérieur du 26 juillet 1798 ↩︎
- Archives Nationales, Cote F/13/742 – Lettre de Guillaumot au Ministre de l’intérieur du 08 décembre 1799 ↩︎
- Archives Nationales, Cote F/13/742 – Lettre de Guillaumot au Ministre de l’intérieur du 08 décembre 1799 ↩︎
- Archives Nationales, Cote F/13/742 – Lettre des Administrateurs du Prytanée Français au Ministre de l’Intérieur du 16 mai 1801 ↩︎
- Archives Nationales, Cote F/13/742 – Autorisation du Ministre de l’Intérieur au Citoyen Guillaumot du 12 juin 1801 ↩︎
- Archives de Paris, Atlas de Vasserot, Quartier Saint-Jacques Îlot 10 ↩︎
- BNF – EDMOND G., Histoire du collège de Louis-le-Grand, ancien collège des jésuites à Paris, depuis sa fondation jusqu’en 1830, f°9 ↩︎